L’après midi termine son agonie. Aux dessus des prairies de Cadi, à 1530 mètres d’altitude, Daniel, assis dans l’herbe, surveille son troupeau qui se la coule douce au pied de la montagne sacrée des catalans : « Le Canigou 2784 mètres au mieux de sa forme ».
Il va falloir que je rentre sous peu, le soleil commence à jouer à cache-cache avec les pics environnants et l’atmosphère s’humidifie, déshabille le soir et installe sa fraîcheur.
Pour le retour, il va longer le GR10. Celui là même, où ce matin, il a croisé un groupe de touristes se rendant au col des Cortalets. Marrant les touristes, même ici, l’un d’eux avait des écouteurs sur les oreilles et deux autres jouaient avec leurs téléphones portables. Dommage qu’ils ne profitent pas du silence, qu’ils n’entendent pas la montagne qui leur parle.
Kosar son chien vient lui lécher la main. Toi, tu as un réveil dans l’estomac ! Allez, rassemble le troupeau on rentre, c’est que je n’ai pas terminé la journée, moi ! Arrivé à l’embranchement avec le ruisseau, il repère les reliefs d’un repas citadin, sac plastique, papier, boites de conserves et canette de coca. C’est vrai, il n'y a pas de poubelle, mais tout de même, font chiez ! Il entasse les détritus dans le sac plastique qu’il range au fond de sa musette et continue la descente vers Casteil. Le cri strident d’un chocard à bec jaune lui fait lever la tête. Il fonce droit sur l’arrête du Quazemi. En fond, derrière ses ailes déployées, se croisent deux avions de ligne. C’est bien pratique quand on veut aller loin, mais pour quoi faire ? Daniel, peut rester des heures à contempler la montagne, à guetter les isards ou écouter le sifflement des marmottes. Se presser, à quoi bon, je ne vais tout de même pas courir pour aller au cimetière ! Il le voit bien avec ses frères qui vivent à Paris et à Lyon. Toujours stressés, à courir après des chimères qu’ils veulent acquérir et, qu’ils oublient dés qu’elles sont en leurs possessions pour courir à nouveau après d’autres choses. Cette agitation est sans fin et il ne l’a comprend pas. Lui, ici, il ne manque de rien et il ne sait même pas ce qu’est le maloox que ses frangins ingurgitent comme lui mâche les feuilles de menthe. Il a appris que si il y a une chose a laquelle tu tiens, faut pas essayer de la retenir. Si elle te revient, elle sera à toi pour toujours. Si elle ne te revient pas, c’est que dès le départ elle n’était pas pour toi.
Un bruit de fond monte de la vallée, la nationale digère les automobilistes qui rentrent du travail et les gros culs chargés de fruit en provenance des serres d’Espagne. Pas très naturel tout ça, des fraises fin octobre, comme ce soleil de plus en plus agressif sur les hauteurs ou la névé qui devient de plus en plus rare et se noircie de poussière, étrange…
L’angélus de Casteil sonne les 20H00, Râ a mis le feu aux sommets avant de tirer sa révérence pour la nuit. Les hirondelles volent bas et la terre sent l’humus signes qu’un orage se prépare. Dans sa musette, une poignée de mûres, les dernières airelles et quelques cèpes. Daniel pousse la porte de la grange ou s’engouffre le troupeau sous les aboiements réguliers du bâtard. Il s’assied sur le banc au dehors, sort de sa poche le papier à rouler et du tabac pour confectionner la petite dernière avant le souper.
Demain, il remontera dans les pâturages, comme chaque jour, enfin en apparence, parce que dans la montagne, il ni a pas deux jours qui se ressemblent.
Petit extrait de la vie d’un berger.