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La bonne conscience

03 SEPTEMBRE 2010

     Nadia est a genoux le visage entre dans ses mains. Cacher ses pleurs, sa rage et sa honte, surtout ne pas leurs faire se plaisir. Elle tremble sous les crachats et les quolibets d’une foule injustement vengeresse. Son crime, avoir aimé un homme autre que son mari.

     Pourtant, c’est un brave type son mari. Certes, elle ne l’a pas choisi, mais à douze ans en était-elle capable ? Et puis, lui de trente ans son aîné savait ce qui était bon ou ce qui était mauvais pour elle, et pour son bien il l’a corrigeait en conséquence. Elle devait être dressée comme lui avait appris son père qui savait comment faire obéir sa mère. Seulement voilà, huit années plus tard, il n’a pas eu de chance, une brebis galeuse et il a fallu que ça tombe sur lui. Le simplet n’a jamais compris que les fleurs ne s’épanouissent pas dans le jardin de l’abruti qui les piétinent. Pauvre Nadia, elle va apprendre à ses dépens que les œufs ne doivent pas danser avec les pierres.

     Dans la foule ou la colère gronde, il y a l’épicier très remonté contre cette femelle adultère. Lui, son épouse, elle a interdiction formelle de sortir de la maison, cela évite bien des problèmes. Son commerce marche plutôt bien avec cette guerre, il a pu tripler son chiffre d’affaire en multipliant le prix des denrées par trois ou quatre en se fournissant au marché noir. Il y a aussi le coiffeur, lui il est au courant de tout car il fricotte un peu avec les deux factions en conflit, comme il dit : « Sait-on jamais, le jour ou cela se termine qui sera au commande. Il faut être prudent… ». Il est content d’être au premier rang pour corriger la donzelle. A ses côté, hurlant son dégoût et éructant sa haine, le gardien du square. Il est un des premiers avec la veuve du boulanger à avoir ramassé des pierres. Ils attendent avec impatience le signal. La veuve, elle ne l’a jamais aimé cette Nadia, trop polie pour être honnête, trop discrète, trop effacée, ne se mêlant jamais aux réunions. Quant au facteur, il est satisfait, grâce à lui et à son témoignage, la police des bonnes mœurs a coincé cette traînée !

     La foule se resserre autour de la condamnée, elle attend enfin le signal salvateur qui lui permettra de libérer sa haine, sa frustration, sa vacuité, son inutilité. La première pierre est lancée par le judas du jardin public, il n’en pouvait plus. Lui qui n’a pas digéré le refus de Nadia quand il l’avait ouvertement dragué. Il est content, il l’a touché en plein sur la tempe et déjà elle chancelle. Les cailloux pleuvent, le sang commence à se mélanger à la terre pour former une boue rougeâtre et visqueuse. La foule en délire exulte, le corps de Nadia n’est plus qu’un amas sanguinolent et sans vie. La jeune femme qui voulait juste aimer et être aimée est devenue poupée de chiffon ensanglantée, désarticulée. Fin de la partie.

     La foule s’étiole, justice est faite. Les hommes s’en vont en direction du bar ou ils referont l’exécution devant un verre. La veuve rentre chez elle tête baissée dans son ennui, sa solitude. La nuit sera noire pour s’identifier à leurs consciences.

     En retrait, sur un monticule avoisinant, un étranger regarde ce dont est capable l’être humain lorsqu’il est guidé par ses plus bas instincts. Dans ses yeux toujours la même tristesse. Dieu a créé les hommes et les loups, les premiers n’ont pas su faire la différence. A travers le temps, quelque soit le pays ou l’époque, cela se répète encore et encore … 

     Nadia s’approche de lui, il lui prend la main, lui sourit, font demi tour et s’en vont loin de cette noirceur.

     Alors, pour la dernière fois elle vit la terre : un globe stable d’un bleu rayonnant, voguant dans l’immensité de l’éther. Elle, fragile pincée de poussière douée d’une âme, voltigeait silencieusement dans le vide en partant de ce bleu lointain pour s’élancer dans l’inconnu….

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