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Un nouveau monde

20 JUILLET 2010

     J’ai fait un rêve étrange. J’étais sur une drôle de planète, dans un drôle de pays. Les villes étaient surpeuplées, bruyantes et polluées. Devant les boutiques des centaines de personnes attendaient depuis deux heures du matin la sortie d’un nouveau téléphone ou d’un ordinateur portable, d’autres avaient passé la nuit devant les magasins à cause des soldes censées y être proposées. Sur les trottoirs, des jeunes filles crasseuses avec des nouveaux nés dans les bras faisaient la manche pour survivre. Plus loin devant une salle de spectacle une foule était en transe car un chanteur se produisait. Dans le stade d’à côté des milliers de gens hurlaient en s’insultant les uns les autres ainsi qu’une vingtaine de bonhommes tapant dans une balle pendant qu’un journaliste, à la radio, s’égosillait sur l’issue de la rencontre comme si sa vie en dépendait.

     Des supermarchés s’étendaient sur des hectares de terrain à la sortie des villes tuant ainsi les commerces de proximité et par là même déchirant le tissu social et déshumanisant les cités. Leurs employés, exploités, brimés et disponibles sous n’importe quel horaire déprimaient dans les rayons surchargés de marchandises surtaxées. A la direction des achats, ils étranglaient financièrement les petits fournisseurs en bloquant les paiements tandis qu’aux caisses, les codes barres facturaient le client sans tenir compte des fausses promotions.

     Dans les écoles, les professeurs étaient insultés et menacés par des élèves qui étaient entassés à 35 par classe. Les programmes scolaires étaient décalés et inintéressants. Cela me rappelait ce que disait Montaigne à propos de l’enseignement : « Un enfant ce n’est pas un seau qu’on remplit mais un feu qu’on allume. » Dans les hôpitaux, le personnel restreint à sa plus simple expression était débordé et les infirmières au bord de la crise de nerf ainsi que les internes s’endormaient debout après seize heures de garde ininterrompues. Les mourants agonisaient seul dans leur lit, terrorisés, sans accompagnement.

     La police, les pompiers, les chauffeurs de bus et les médecins ne pouvaient plus aller dans certains quartiers sans se faire agresser. Ceux-là même où la société avait entassé des populations sans respecter leurs humanités. Les prisons surpeuplées logeaient des adolescents de seize ans au milieu de délinquants multi récidivistes qui s’occupaient activement de leur formation, de toute évidence la relève était assurée. Au dehors dans les caves d’une cité, des enfants de douze ans participaient à leur première tournante tandis que d’autres dansaient autour des flammes d’une voiture qu’ils venaient d’incendier.

     Les campagnes étaient désertées. De vastes champs couverts de plants transgéniques monocycles en avaient défiguré la physionomie. Ils ne pouvaient pas être pollinisés car les abeilles étaient en voie d’extinction et le semencier avait intentionnellement éliminé le germe de reproduction. La chaîne végétale et naturelle de la vie allait bientôt cesser. Des animaux impropres à la consommation étaient élevés dans d’horribles conditions, serrés les uns contre les autres, leurs excréments étaient récupérés et reconditionnés en granule pour en nourrir d’autres ou déversés sur le sol allant ainsi polluer les nappes phréatiques. Les petites exploitations, où s’échinaient quinze heures par jours des agriculteurs pour une misère, mouraient peu à peu. Les multinationales et les promoteurs attendaient avec délectation leurs chutes afin d’en racheter les terres à des coûts sacrifiés.

     Pendant ce temps, une élite dirigeante minoritaire contrôlait les flux financiers en distillant ses bons conseils à la population sur un écran de télé entre des jeux débiles et des publicités agressives. Ils avaient réussi à instaurer une démocratie fictive sur une méthode simple : « Demander l’avis au peuple mais ne pas en tenir compte » A première vue cela semblait très efficace car ils avaient même réussi à acheter les médias.

     Cette société avait réussi à formater les individus sur les bases du paraître et de l’avoir. Ils passaient leurs vies à courir après des chimères en oubliant de vivre le présent. Ils avaient oublié que la merveille est dans l’instant et qu’à chaque seconde ils pouvaient mourir. L’accumulation de l’avoir était devenue la priorité et ils utilisaient toutes leurs énergies à ce seul but soulignant ainsi la terrible vacuité de leurs actions. Cette envie compulsive de posséder ce qu’ils n’emporteraient pas dans leurs tombes. Ce besoin de paraître qui leur faisait maquiller la réalité de leur être. Car il y avait ce qu’ils pensaient être, ce qu’ils auraient aimé être et ce qu’ils étaient vraiment et qu’ils ignoraient. Pascal disait que le malheur chez l’homme venait du fait qu’il ne savait plus s’asseoir seul dans le noir et réfléchir. Peut-être que si ils s’étaient arrêtés quelques instants sur le bord de la route, quelques minutes seulement, la tête entre leurs mains et qu’ils s’étaient posés les questions suivantes  : « Qu’avons nous fait de positif ? Pas pour nous individuellement mais pour la communauté, ceux qui nous entourent ? Est-ce que tout cela a réellement un sens et sommes-nous heureux ?

     Je persiste à croire que l’équilibre est dans l’ensemble et que l’interdépendance des éléments nous le rappelle chaque instant. Peut-être aurait-il été bon que ce peuple redéfinisse ses priorités.

     Mais tout ceci n’était qu’un mauvais rêve et ne peut pas exister dans notre monde, enfin je crois ….. 

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