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Les perversions de Saturne

23 MAI 2012

      Février 2016

- Le temps quel emmerdeur, à part te coller des rides et de l’arthrose à quoi qui sert celui là ?  

        Ainsi bougonnait papy Raymond le cul poser sur un voltaire défraîchi entre les piles des programmes télé à deux balles et ses respectables revues de jardinage.

     

- Il n’avait pas le droit l’autre là haut de me le laisser seul après soixante années de connivence, d’amour, d’amitié et d’engueulade avec la Gilberte.

       Depuis que sa moitié, l’année précédente, avait pris la poudre d’escampette vers les cieux du créateur, il l’avait mauvaise. Un peu perdu et coléreux de ne pouvoir exprimer son chagrin, il ruminait après le ciel de l’avoir laissé sur le quai sans connaître l’horaire du prochain départ.

      Tic tac, tic tac, une hanche, un col du fémur qui fout le camp et merde ! C’est quoi ce bordel on ne peut pas partir comme un flash, sur ses deux jambes ? Il faut vraiment en passer par la déchéance physique, psychique et morale ? La vie a-t-elle jugée que l’outrage à l’intégrité était nécessaire pour rappeler l’homme à un peu plus d’humilité ?

       On a beau poétiser, dire que les rides aux coins de nos yeux sont les fleuves des larmes des veufs ou des veuves ou qu’elles sont apparues parce que l’on a trop ri, taratata, elles sont bien là et rien ne peut gommer cette signature du temps dont on se passerait bien.  

  

        Cataracte et prostate sont en un bateau, putain ! Si ces deux la pouvaient se noyer !

Bon bref, le mica continu de s’écouler et pas un grain pour bloquer cet enfoiré de sablier, c’est comme ça !

       Quelle que soit la position sociale de l’individu dans la société, seigneurs ou esclaves, tous flâneront un jour ou l’autre au rayon couche pour adulte et tous auront perdu un peu de leur superbe assurance devant l’inévitable échéance.

      

        Devant sa télé, papy suit la campagne électorale, Il est subjugué par les aboiements pré orgasmiques de Nadine la folle lorsqu’elle prend fait et cause pour le napoléon d’opérette. Ca côtoie le summum du ridicule, attitude dans laquelle cette dinde idiote prouve toute son inutilité et sa complaisance en se vautrant dans une vacuité intellectuelle abyssale. Tout comme le frénétique déhanchement de sa croupe charentaise lors de ses apparitions télévisuelles, qui chaloupant et tanguant comme un bateau ivre, donne la gerbe. Une fois à droite pour les mauvaises pensées, une fois à gauche pour les chasser, tout cela sous une apparente bonne conscience putassière. La décence voudrait que lorsque l’on est intellectuellement déficient on s’efforce à une pratique d’abstinence verbale. Mais bon, ce n’est qu’un être primitif qui ignore ou s’arrête la sincérité et ou commence la correction car, n’ayant aucune notion de savoir vivre, son environnement éducatif se limite à la longueur de la laisse qu’a bien voulu lui octroyer son maître…

        Voilà, depuis quelques temps, comme disait le grand Jacques, rythmé par la pendule qui nous attend, du lit au fauteuil devant la télé et du fauteuil devant la télé au lit… Et pour voir quoi ? Des conneries qui alimentent son Alzheimer, triste final sans tambour ni cymbale.

- Salut Raymond, pas dans le jardin ?

- Tu veux ma canne dans la gueule, Gabriel ?

        Si le physique ne suit plus, sa verve n’a rien perdu de sa spontanéité et de sa franchise. Un vrai régal… 

- Tu as regardé une émission ou lu un article qui t’a énervé ?

- Tu le sais bien, ce monde part en couille, comme moi, tout comme moi…

- T’inquiète pas Raymond, tout se passera bien.

- Arrête ce sourire, ça m’agace.  

       Mars 2016

         La vieille girouette rouillée, au dessus de l‘abri de jardin en tôles ondulées, a cessé son couinement agaçant. En ce jour de mars le papy jardinier s’en est allé tailler les rosiers sous d’autres cieux et le vent, par respect ou flemmardise, est resté couché. De soixante à quatre vingt cinq printemps, il l’a retourné sa terre sans relâche, par passion, dévotion, discrétion. Il fallait bien s’occuper, ne pas penser aux aiguilles qui s’emballent. Ce salaud de Saturne passait son temps à faner ses salades et rouiller le banc, peint et maintes fois repeint, du jardin. Un dernier hommage sera rendu en l’église saint Sernin bla bla bla…

        N’oubliez pas mon ami le passeur, mettez les gages pour la traversée de l’Achéron sous la langue des morts, obole à Charon. Partir sur la pointe de pieds sans un bruit face aux cris des martyrs, préférer par défaut le monde de l’oubli à l’actuel des folies.

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