top of page

L'adieu aux larmes

23 AOUT 2013

L’adieu aux larmes (la courte vie d’un soldat en Afghanistan).

         J’ai posé mon fusil la crosse dans le sable et je me suis adossé à un rocher laissant la brûlure de la pierre envahir mon corps. Devant mes yeux irrités par le vent du désert, il n’y a que sable, cailloux, gorges et montagnes à perte de vue. Dans ces magnifiques paysages tourmentés d’Afghanistan, on s’attend à chaque instant voir surgir des djinns de nulle part. Ma gourde est presque vide et le soleil encore à son zénith. Nous nous sommes fais piéger dans cette zone de misère. Sous le feu nourrit des Talibans, trois de mes camarades sont tombés le nez dans la poussière. Si Molière nous voyait, il nous dirait certainement : « Mais que diable êtes vous allez faire dans cette galère ? »

         J’étais un soldat volontaire. Je dis bien j’étais car, croyant apporter à ce pays liberté, paix et justice, toutes ces valeurs démocratiques dont on nous bassine les vertus à longueur de discours médiatiques, je me suis aperçu que dans cette contrée, nous n’étions pas les bienvenus. Mes certitudes vacillent et mon obéissance face à la hiérarchie, représentée ici même par un excité de capitaine, en a pris un sérieux coup. Nous faisons une guerre dont l’idéologie repose sur les résultats économiques calculés par une poignée de conseillés financiers dont les postérieurs sont bien calés dans des fauteuils en cuir à l’abri des balles qui sifflent à nos oreilles. Je les imagine déjà l’air contrit dans leurs bureaux climatisés passer ma section en perte et profit sur leurs feuilles de calcul Excel.

         C’est dans les yeux des femmes et des enfants que j’ai découvert l’ingérence dont nous nous rendons coupable. Ils ne nous perçoivent pas comme des libérateurs mais comme des envahisseurs. Non que leurs arriérés de Talibans soient un choix désirable pour eux mais, ils avaient tant espéré en nous que la haine qu’ils nous vouent est à la hauteur de leur désespoir et de notre trahison.

         Les moustiques d’aciers se multiplient et, tout autour de nous volent des éclats de roche. Grenade ! Crie un soldat à quinze mètres de moi. La déflagration m’a rendu sourd, du sang coule de mon tympan gauche et je distingue les morceaux de chair du crieur éparpillés sur le sol. Une jambe a atterri à quelques centimètres de mes pieds. Un grand jet de bile s’éjecte sur le membre calciné et incendie ma gorge à son passage. Des larmes de rage et d’impuissance me montent aux yeux puis, d’un coup, le calme, l’acceptation… Je sais que je vais mourir ici, à 6500 kilomètres environ de mon pays. Je pense à ma femme et à ma fille qui ont eu la chance de ne pas naître sous l’obscurantisme d’une intolérable charia, à mes Causses natales ou l’hiver souffle un vent glacial qui fait courber les herbes front contre terre comme pour une prière inutile à un soleil absent.

         En ménageant la chèvre et le chou, la culture du pavot et la lutte antidrogue, nos girouettes de dirigeants s’orientent toujours dans le sens de la finance qui les engraisse et qui assassine les habitants de ce pays et les soldats venus la fleur au fusil. Cela durera tant que les entrepreneurs y trouvent leurs profits. C’est bien connu, les riches déclarent les guerres que les pauvres alimentent mais, que ceux-ci ne se plaignent pas, ils auront droit à leur monument, leur défilé et leur fanfare. Le mensonge d’état fait de nous de la chair à canon, aujourd’hui l’Afghanistan, la Lybie, La Syrie … Demain l’Iran et puis …

         Les coups de feu ont cessé, le calme est revenu. Je pointe le canon de mon arme dans ma bouche, je ne tiens pas à me faire égorger au nom d’un Dieu qui n’a rien demandé et qui, du plus profond de son univers, doit s’interroger sur la bêtise et la haine des hommes en vers leurs frères. La lumière du soleil et la sécheresse des lieux interdisent tout épanchement lacrymal. De toute façon, j’ai tellement pleuré sur mes erreurs que je n’ai plus une goutte d’eau dans les yeux alors, c’est le cœur libre et un sourire aux lèvres que j’appuie sur la détente. Ma tête vole en éclat, des lambeaux de mon cerveau viennent se mélanger aux tripes de mes compagnons d’infortune qui, comme moi, viennent de tirer leur référence de cet enfer.

         Cette guerre, comme toutes les autres, c’est le mal qui déshonore le genre humain, c’est la multiplication des crimes impunis encouragés à coup de médaille en ferraille. Aucun rêve aussi grand soit-il ne mérite une guerre car, la première victime d'un conflit armé, c'est toujours la vérité…

bottom of page