Sur un banc vermoulu dont les pieds, soutien précarisé par les lunes successives, sont ancrés au milieu d’une anarchie de galets polis par les vents côtiers, rêve un enfant accompagné d’un canidé de passage. Le derrière posé en équilibre sur les planches d’assises rongées par l’air salin des marées, qui ont déjà accueilli, au fil des années les fesses de plusieurs visiteurs romantiques amateurs de plages désertes, rêvasse patiemment le gamin.
Le petit homme, d’un âge indistinct, visage lisse et pale, contemple de ses grands yeux clairs la chape de nuages tristes et lourds déchirés par les rais de lumière d’un soleil profanateur. La mer est calme, d’huile, ses reflets aluminium s’affolent à sa surface monopolisant le regard du bâtard la langue pendante, la queue rythmant la plainte des vagues venant mourir sur la grève avec une régularité métronomique.
Plus loin, à quelques milliers de kilomètres, Une marée noire ravage un trésor mondial de la biodiversité dans l’indifférence de la communauté internationale. La plus grande forêt de mangroves du monde, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, un écrin de nature exceptionnel, est en train d’être recouverte par une couche visqueuse de pétrole. Mardi 9 décembre 2014 au matin, par un temps brumeux, un navire a heurté un pétrolier au sud du Bangladesh dans la région protégée des Sundarbans, dans le delta du Gange, à l’endroit même où les mangroves s’étendent sur plus de 10 000 km². Depuis 350 000 litres de pétrole se dispersent dans les lagunes, souillant déjà près de 50 km².
Le vent vient murmurer à l’oreille du gamin le doux chant plaintif des flux et reflux maritimes. Les crêtes mousseuses dans un dernier défi viennent terminer, après un long voyage, leurs agonies sur la plage. Le chien, les oreilles dressées, lance quelques aboiements étouffés en signe d’approbation avant de s’allonger au pied du petit humain le museau posé sur ses chaussures. Un peu plus loin, quelques mouettes idiotes se chamaillent pour des reliefs de repas dépassant d’un sac de plastic éventré.
Retour en Inde où, pendant ce temps, la marée noire dévastatrice pour les écosystèmes littoraux et marins asphyxie la flore et la faune sur des centaines de kilomètres. Les habitants et l’économie locale sont aussi touchés. 200 000 villageois dépendent des mangroves pour se nourrir (chasse, récolte du miel et pêche). Pour lutter contre la marée noire, les habitants sont laissés à leur sort. Avec des seaux, des éponges, des filets de pêches… ils nettoient les nappes de pétrole. Toute la chaine alimentaire des Sundarbans est brisée, de la crevette au tigre, tous vont être affectés. Les efforts timides du gouvernement pour contenir la marée noire, malgré des appels répétés et urgents de différentes personnes pour accélérer les opérations de nettoyage sont une insulte à la vie. Le gouvernement a lancé des opérations fastidieuses de nettoyage manuel quatre jours après l’incident et n’a déployé que 200 travailleurs. Ces mesures prises avec retard sont, selon les experts, totalement inappropriées pour contenir la marée noire qui s’étend maintenant sur 350 kilomètres carrés. La plus grande forêt de mangrove du monde est en train de se faire bousiller par une énorme marée noire et tout le monde s’en fiche. Alors, un petit rappel s’impose :
Exxon Valdez – 37 000 tonnes, Beaucoup d’entre nous ont entendu parler de cette marée noire particulièrement médiatisée (bien qui finalement ridicule par rapport aux suivantes de cette liste), qui eu lieu en Mars 1989 en Alaska. Gros choc des images pour la population américaine, cette marée noire a au moins le mérite de faire évoluer la législation concernant le transport pétrolier.
Torrey Canyon – 119 000 tonnes, L’accident remonte à Mars 1967, le Torrey Canyon, pétrolier libérien s’échoue près des îles Sorlingue, au Sud Ouest de l’Angleterre. On utilise alors des dispersants pour le pétrole, qui se révèlent au final plus toxique que le pétrole en lui même (Un peu comme ceux qu’on utilise en ce moment dans le golf du Mexique, dont on ne sait pas grand chose !)
Odyssey – 132 000 tonnes, En Novembre 1988, Le supertanker Américain Odyssey se brise en deux à environ 1000 kms des cotes de la Nouvelle-Écosse, au Canada. Le pétrole s’est ensuite enflammé, et à cause des conditions météorologiques défavorables, les gardes cotes canadiens n’ont pas pu intervenir immédiatement. La plus grosse partie du pétrole a brulé.
Le Haven – 145 000 tonnes, Encore un pétrolier, chypriote cette fois ci, qui prend feu en avril 1991, se brise en trois, et tue 6 marins au passage. Une partie coule sur place, et les deux autres un peu plus loin pendant leur remorquage. La nappe de pétrole touche la cote d’azur en France, et la cote Ligur en Italie. Le gouvernement Italien décide d’en finir en faisant tout bruler ! Comme à chaque fois, toute une partie de l’écosystème est sérieusement touché. On a retrouvé quelques années plus tard du pétrole jusqu’à 500 mètres de profondeur sous l’eau.
L’Amoco Cadiz – 223 000 tonnes, Au mois de Mars 1978, le pétrolier libérien Amoco Cadiz se brise sur les cotes du Finistère à cause d’une tempête, coule rapidement, et déverse l’intégralité de son chargement (plus de 200 000 tonnes de pétrole brut) sur les cotes françaises entre Brest et St Brieuc.
Août 1983, le Castillo de Bellver – 252 000 tonnes, Pétrolier espagnol qui pris feu au large de l’Afrique du Sud, avant de dériver vers les côtes et de se briser en deux. L’accident affecte l’Afrique du Sud à la fois écologiquement et économiquement, malgré les conditions météo favorables qui ont fini par repousser la nappe de pétrole, car c’est une zone riche de par sa faune et sa flore, avec de nombreuses espèces d’oiseaux. La moitié des fruits de mers sud africain était péché à cet endroit.
L’explosion de l’ABT Summer – 260 000 tonnes, Le pétrolier libérien explose en Mai 1991, alors qu’il se dirigeait vers Rotterdam, à un peu plus de 1000 km des cotes de l’Angola. Il transportait 260 000 tonnes de pétrole. L’épave n’a jamais été retrouvée, sur 32 marins à bord, 5 sont morts.
Les évènements de Nowruz, dans le golf Persique – 272 000 tonnes, Janvier 1983, un navire heurte une plateforme sur le site Iranien de Nowruz. De cet accident résulte un déversement de pétrole d’environ 240 m3 par jour. Il est difficile d’agir sur ce site car Nowruz est situé dans la zone de conflits Iran-Irak. Plusieurs tentatives et 11 morts plus tard, le puits est cimenté en septembre 1983.
La catastrophe de l’Atlantic Empress – 287 000 tonnes, Le pétrolier grec Atlantic Empress est responsable de la plus grosse marée noire due à un pétrolier. Il a sombré en Juillet 1979 près de Trinidad et Tobago, suite à une collision avec un autre pétrolier, l’Aegan Captain, à cause d’une tempête tropicale. Les deux navires ont pris feu, et l’incendie de L’Atlantic Empress ne sera pas maitrisé. 26 marins meurent, et à eux deux, les super pétroliers ont déversé environ 287 000 tonnes de pétrole dans les caraïbes, un mois après l’explosion d’Ixtoc 1, un peu plus haut dans ce classement.
La plateforme pétrolière Deepwater horizons dans le golf du Mexique, Le 20 Avril 2010, la plateforme explose, tuant 11 personnes. C’était le puits de pétrole le plus profond du monde, et depuis, 2 à 3 000 000 litres de pétrole brut se déversent dans le golf du Mexique selon le gouvernement américain. Les estimations évoluent chaque jour, mais il semblerait que dernièrement BP ait réussi à réduire ce flot.
La plateforme pétrolière d’ixtoc 1 dans le golf du Mexique – 467 000 tonnes, En Juin 1979, la plateforme de l’entreprise mexicaine Permex explose et commence à déverser des dizaines de milliers de litres de pétroles chaque jour. La fuite sera bouchée presque un an plus tard, en mars 1980. Cette catastrophe est très similaire à celle qui se produit actuellement au large des cotes américaines, et les moyens pour l’arrêter sont également similaires comme nous le montre ce document de la chaine américaine MSNBC (en anglais). Plus d’un tiers du pétrole déversé a brulé, ce qui créa une pollution atmosphérique en plus de la pollution maritime.
La guerre du golf – Entre 1 000 000 et 1 500 000 tonnes. En janvier 1991, vers la fin de la seconde guerre du golf, l’armée irakienne organise une opération de sabotage d’une partie des puits de pétrole du Koweït, à Mina Al-Ahmadi, ainsi que de plusieurs pétroliers, afin de ralentir l’armée américaine. De cette action découle la plus grande marée noire de l’histoire.
Il existe aussi des marées noires toutes aussi désastreuses dont presque personne ne parle, comme celles qui se déroulent actuellement dans le delta du Niger.
Les océans sont les plus grands régulateurs de climat et pourvoyeurs de nourriture de la planète. A force de les salir, de les agresser, les hommes se condamnent à une fin certaine. Je ne suis pas sur que, dans un avenir relativement proche, la terre fatiguée par ces attaques répétitives, ne se révolte pas contre l’humanité en lui faisant payer son aveuglement et sa course imbécile et destructrice dont la seule motivation est l’argent. Il serait temps de se remettre en cause et redéfinir ses priorités. Carburer aux vraies valeurs ne cause pas de pollution. Pendant que les responsables politiques agitent des chiffons rouges en mettant un clown en prison ou profitent de l’émotion et de l’indignation justifiées des populations traumatisées par des actes terroristes, leurs amis les bandits du profit et de la finance pillent et détruisent notre terre. Certains pensent sincèrement que la pollution de la planète n'est pas aussi grave qu'on le dit... Ils ont raison, c'est beaucoup plus grave qu'on le dit et j’ai la sale et vague impression, qu’avant la fin de ce siècle, les enfants et les chiens ne seront plus là pour contempler la mer.
Les océans sont en eux-mêmes indifférents à la pollution, mais l'histoire ne l'est pas. Elle ne peut être sauvée que par l'abolition du travail-marchandise. Jamais la conscience historique n'a eu tant besoin de dominer de toute urgence son monde, car l'ennemi qui est à sa porte n'est plus l'illusion, mais sa mort.
G.Debord