Neptune en fureur frappe le géant de pierre. D’immenses écumes de rage viennent gifler la dalle de rocher sur lequel impassible, le gardien des rivages jette le halo de sa lampe, ultime repère aux marins en détresse. La houle, l’haleine chargée d’iode, de sel et d’embruns glacés, trempe jusqu’aux os les derniers téméraires courant se mettre à l’abri. Les embarcations dans le petit port se chahutent, coque à coque, au gré des assauts des vagues kamikazes qui viennent agoniser en s’écrasant dans un fracas sur la digue et les plots d’un parking désert. Sur les quais, près de la criée, s’agite un ballet de cirés jaunes qui s’étiole. La mer survoltée hurle sa colère sur les pontons et siffle ses avertissements dans les escaliers en colimaçon de la tour de Babel, dernier rempart à la folie des eaux déchaînées. Au seuil des hivers, les tempêtes et les vents arrogants s’invitent sur les côtes d’Armorique, ils éclatent les coques des barques imprudentes et brisent les flancs des rafiots isolés. Le phare scintille dans la nuit appelant au retour les vaisseaux aux gréements secoués par les aquilons de Norvège. Leurs grandes voiles tendues tour à tour s’époumonent, se froissent et dans leurs plis rebelles se reflète le rayonnement des étoiles.
Un peu à l’intérieur des terres, au croisement des chemins touristiques bordés de fougères, des crucifix de pierre, rongés par le sel, s’effritent sous les assauts d’un vent mauvais aux relents de marée. Ils sont là pour conter les époques aux hommes de Bretagne. Au bout d’une pointe, langue de terre oubliée, sommeille une improbable chapelle refuge aux promeneurs égarés. Des flashs d’éclairs colériques se filtrent à travers les vitraux lézardés d’étain aux couleurs féériques et dessinent sur le sol et les murs des monstres éphémères. A quelques lieux de là, dans une clairière Brocéliande peuplée de nains et de démons imaginaires, là où Merlin pratiquait sa magie, près d’un champ mystique ou reposent siècles après siècles d’imposants menhirs, s’abritent une biche et son faon sous leurs toits de granit.
Au lointain, une corne de brume gémit son arrivée au port. Elle prévient les femmes de marins qui, après de longues semaines à prier pour leurs hommes en mer, annonce le retour des aventuriers, des vieux marins usés par les océans endiablés. Bousculés sous tes tonnes d’eau, ne leur vole pas leur planche de salut et laisse les rejoindre leur foyer, toi qui a pris tant de vies, tant de maris et tant d’amis. A chaque fois, les survivants te pardonnent parce que tu les fascines. Ecoute leurs prières et demande à ton Dieu de calmer ses éléments. Fais taire le chant des femmes poissons, charmeuses des abysses, et dis à ton vent de souffler juste assez pour pousser les voiliers, qu’il ne déchire pas les filets, n’arrache pas les voiles et ne brise pas les mats.
De retour chez lui dans sa maison de pierre, le matelot rassasié d’une galette de blé noir embrassera ses enfants puis, épuisé se glissera dans les draps de lin d’un lit où, ultime étape de son naufrage nocturne, il sombrera dans le mystère d’un rêve océanique. Longue chevelure de nuit noire, dans l’opacité sonore de ses songes, des voix de sirènes lui chanteront les alizés jusqu’au calme d’un petit matin, d’une aube éclairée d’un chaud soleil paresseux colorant d’argent une mer apaisée.
Demain descendra du ciel une lumière magnétique sur le Finistère. Elle viendra recouvrir d’illusoires teintes pastel la campagne bretonne et, de Concarneau à Pont-Aven, des poètes armés de pinceaux immortaliseront ce coin de terre qui, depuis l’aube des temps, s’est uni à l’océan.
La mer réclame son dû, son compte de disparus, il en est ainsi. Le navigateur est dépourvu face aux furies de sa nature mais, au pays du roi Arthur, les vents marins appellent à l’aventure et font respirer et chanter la terre de Bretagne.