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La guerre des roses

25 JANVIER 2018

         Jacques se souvient de ce 15 mai 78 où, à cette soirée Christine lui est apparue pour la première fois. Un sourire niais avait figé ses lèvres et séché sa gorge. Un coin de paradis dansait dans ses cheveux blonds et son regard clair, lumineux, fut responsable d’un emballement cardiaque exagéré, d’un tamtam vasculaire incontrôlable. Le temps était pourtant doux et sec et aucun éclair ne déchirait le voile de la veuve céleste de sa nuit charbon pourtant, un violent coup de foudre atomisa l’intérieur gauche de sa cage thoracique. Quelle journée ! le boucher Ceausescu était reçu en grande pompe à Pékin, à Moscou un procès stalinien privait de sa liberté le physicien Orlov pendant que les USA vendaient des avions de guerre à Tel-Aviv, Riyad et au Caire. Le lendemain le paquet de Gauloises passait de 2 francs à 2,30 francs. Étonnant comme aux instants cruciaux de notre vie le souvenir d’évènements, dont généralement on se fout éperdument, reste gravé dans notre mémoire comme la cicatrice d’un premier combat.

         Vingt-cinq années plus tard, en plein mois d’août 2003, rythmé par le traintrain familier d’un couple comme il y en a des milliers, la désintégration lente d’un amour arrivait à son terme. L’emploi du temps, valse à quatre temps, remplissait un organigramme de camemberts colorés. Rouge pour le boulot, bleu pour les enfants, vert pour les actions consumérismes et rose pour une libido au graphique descendant pour ne pas dire, chutant dangereusement. L’habitude anesthésiant le désir avait, petit à petit, sournoisement paralysé leurs envies. Pour l’un, l’acte se faisait animal par besoin. Pour l’autre, c’était devenu une activité subit, nécessaire pour l’hygiène du couple et pour éventuellement sauvegarder une vie à deux qui les ennuyait à mourir. Marie Trintignant venait de succomber sous les coups donnés par son compagnon Bertrand Cantat. Une température nocturne record de 25,5 degrés transpirait sur Paris, et Charles Bronson ne verrait pas septembre. Encore une fois, les souvenirs bornaient les soubresauts d’une vie.

         Un mépris silencieux entre deux récriminations, des cris crescendos agonisant dans une averse de sanglots, voilà à quoi se résumait maintenant la vie de jacques et Christine. Du verre brisé à la vaisselle cassée, les signes ultimes d’une fêlure dans cette fausse éternité. Les enfants devenus grands désertaient le champ de bataille, à chacun ses problèmes, les leurs ne faisaient que commencer et comme disait Denis, l’ainé chouchouté de la fratrie, chacun sa vie, son cœur et son cul service compris. Il se réfugiait dans des aventures d’un soir, elle consommait les douceurs érotiques du même sexe. Le mensonge épiscopal d’une union pour la vie prononcée dans une église volait en éclat. Comme il est stupide et prétentieux de jurer fidélité jusqu’à la mort quand on n’ignore de quoi sera fait demain. Le mariage est une aventure, c’est le mot juste, une aventure, une loterie. Lui tente sa chance, elle joue sa vie. Maintenant dans cette guerre des roses, un couple se détruisant et se haïssant fournira de la matière aux avocats et aux psychanalystes. Les premiers feront trainer la procédure de divorce afin de générer du cash, les seconds pourront envisager sereinement les vacances prochaines à la Barbade. C’est dingue comme le malheur et la détresse sont rémunérateurs. 

        Ainsi agonise une histoire avec le trépas de l’année 2006. Mittal a fait main basse sur toute la sidérurgie européenne. Dans son délire le pape Benoit XVI associe l’islam à la guerre sainte et laisse entendre que la religion du Prophète est peu accessible à la raison, contrairement au christianisme. L’UE approuve le projet inégalitaire nommé : " Directive Bolkestein". La chine a achevé le barrage des trois gorges avec plus d’un million de personnes déplacées. En Indonésie, un séisme de magnitude 6,3 frappe l’île de Java, faisant plus de 5 800 morts et enfin, disparition de l’ancien dictateur, le parasite Augusto Pinochet. Durant ce temps, le prince charmant dénigre sa princesse pendant que celle-ci le traîne dans la boue. On s’arrache jusqu’à la moindre assiette, la plus petite cuillère. C’est à celui qui réussira à détruire l’autre, à le faire souffrir pour satisfaire sa médiocrité et masquer son naufrage. De report de procédure en appel, le divorce durera des années, tournera en boucle dans les bureaux lambrissés des juristes spécialisés en affaire familiale qui échouent. Leur déroute alimentera en cancan les amis, les collègues de travail, la famille et chacun dans son immense bêtise choisira son camp, les blancs contre les noirs. Dans un monde absurde, sommes-nous obligés de suivre le sens de la pente ? Quelle fatuité, quelle mesquinerie de la part des figurants de ce vaudeville, la partie est déjà jouée, l’ignorent-ils ? Le roi noir et la reine blanche sont tous deux en échec.

         Actuellement, dans bien des cas, le mariage est une des nombreuses formes sociales de la folie. Solution anthropologique et communautaire temporaire à la solitude, à la concupiscence et à l’intendance. Maupassant le décrivait ainsi : "Il supprime, quand on le prend sérieusement, la possibilité des désirs nouveaux, toutes les tendresses à venir, la fantaisie du lendemain et tout le charme des rencontres. Il a, en outre, l’inconvénient odieux de condamner les époux à un déplorable ordinaire". Cela reste assez ironique car, le vivre ensemble est magnifique si l’on sublime le présent sans trop parier sur l’avenir. Cependant, lorsque cesse la romance, par respect pour l’être que l’on a tant chéri et en remerciement aux merveilleuses années passées à ses côtés, l’amour devrait se divorcer à l’amiable.

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