L'armée des ombres

31 JANVIER 2017
Mois d'hiver, sous les gifles glaciales, les morsures du gel, ils sont là, courbés les pics à glace fouillant leurs entrailles. Sous les porches des églises, sur les bouches d'égout, dans les tunnels du métro, sur les bancs publics des jardins sous la neige, sur les trottoirs verglacés, à l'abri des murs sales d'un local à poubelles, sur les places balayées par des vents sibériens, ils sont là. Ils cauchemardent dans leurs demi-sommeils ou s'endorment une dernière fois en rêvant de soleil, de plages et de sable. Emmitouflés comme ils peuvent et avec ce qu'ils ont, le regard vide posé sur le passant qui ne les voit même plus tellement ils sont nombreux. Manteau de laine râpé, vieux cartons froissés, chiffonniers aux vêtements déchirés, ils forment le défilé de mode des délaissés, « les Yves sans logement ». France, nation des droits de l'homme et du citoyen regarde ce que tu as fait de tes enfants. Par centaines de milliers, ils viennent grossir la horde des sans nourriture, sans toit, sans soin, sans amour. Pendant que des fortunes s'amassent pour quelques uns, il faut multiplier par cent mille ceux qui sombrent dans la précarité, la pauvreté, la déchéance. Le paradis des princes repose sur l’enfer des pauvres car il est bâti avec les pierres de leurs vies volées.
Ils feront l'objet de quelques minutes médiatiques dans des verbiages télévisés ou, auront droit à une émission à sensation sur une chaîne publique qui mélangera voyeurisme, pleurnicherie et indignation dégoulinante de pitié à bon marché, histoire de faire de l’audimat et du fric car, la misère chez les autres, c’est vendeur, comme le sexe et la téléréalité pour trépanés. Des célébrités pousseront la chansonnette, ça fait toujours de la publicité à pas chère afin d’inonder les ondes de leurs nullités et braillements musicaux ! Des politiciens, de droite comme de gauche, s'indigneront de cet état de fait résultant de leur obéissance aveugle à une sphère financière dominante et, la caravane du cirque partira faire son show plus loin, ailleurs, loin du canal Saint Martin épicentre des campeurs Parisiens. L'indignation oui, c'est vendeur, alors que l'action est rangée dans la case promesse ou mensonge, c'est au choix. En attendant, les seules actions qui rapportent squattent en bourse et remplissent les leurs alors, les SDF se contenteront de la piécette qu'ils leurs refilent, le sourire carnassier bien en face des caméras des chacals de l'information en quête de sensations fortes pour l'électeur qui, désolé devant sa télé, revotera pour les mêmes salopards de ces trente dernières années parce qu'on lui a dit que c'est la crise, qu'il n'y a pas d'argent et qu'il est assez con pour le croire.
Chaque bombe larguée sur un village, chaque canon qui sort d’une usine, chaque missile installé aux portes de ses pays voisins, c’est du vol au détriment de ceux qui ont faim, de ceux qui ont froid. Pas d'argent pour le respect, pour la vie, pour l'amour mais, il y en a pour les guerres, les places boursières, les paradis fiscaux, les avantages exorbitants de ceux qui, à chacun sa Pénélope, vous demandent à chaque élection de vous serrer la ceinture car, vous êtes responsables. Et oui, ils sont très forts, ils vous culpabilisent, vous rendent responsable de la faillite des banques qui ont joué avec vos économies et les ont perdu. Rassurez-vous, pas perdu pour tout le monde. En attendant, des hommes, des femmes et même des enfants meurent aujourd'hui, au vingt et unième siècle, dans la rue alors qu’en région Ile-de-France uniquement, il y a 52,8 millions de mètres carrés de bureaux vides, cherchez l’erreur ! Au printemps dernier, pas moins de 4,43 millions de mètres carrés étaient à louer en Île-de-France dont, 330.000 mètres à Paris intra muros. Les bureaux vides et obsolètes continuent de s’accumuler. Il en est de même dans toutes les villes de France. Pour combattre l’injustice, on ne peut pas toujours être dans la légalité. Il est préférable d’avoir sur la conscience une porte fracturée qu’un être humain mort de froid.
La pauvreté chez soi coûte chère et les politiques l’ont bien compris. Ils ne veulent pas de cette misère sale bien de chez nous qu’ils ont créé et qu’ils amplifient en important, bien caché derrière le paravent des droits de l’hommiste, la misère exotique des pays où ils font leurs sales guerres. Bénéfice double, on vend des armes, on démolit et on signe les contrats pour reconstruire. Puis sans aucune honte, la main sur le cœur, ils font venir des migrants qui fuient l’horreur qu’ils ont déclenché pour mieux les exploiter et ainsi, casser le marché du travail sur place et envoyer l’autochtone au chômage. Idem avec la directive des travailleurs détachés, cadeau royal aux exploiteurs du CAC40 et autres places boursières. Tout cela sont les ingrédients idéals à l’enrichissement d’une petite caste de nantis responsables directe du nombre de miséreux. Pensez que les cent personnes les plus riches au monde ont gagné quatre fois plus d’argent que nécessaire pour enrayer la pauvreté mais, il est vrai que le capitaliste n’en a ni l’éthique, ni la morale.
Cette armée de l’ombre grossit de jour en jour, elle s’étend là sous nos yeux, occupe nos rues, nos gares, nos consciences. Elle se compose de nos mères et de nos pères, de nos maris et nos femmes, nos filles et nos fils, nos sœurs et nos frères, nos cousins etc… Peut-être qu’un jour, un général (Che Guevara réincarné) en prendra le commandement, alors ces fantômes viendront récupérer ce que la société leur a volé, leur droit de vivre, leur dignité et, il est à craindre que cela se fasse dans le bruit, la fureur et le sang. Quand la misère explose, les gibets sont vite dressés, la veuve reprend du service et les caniveaux s’empourprent. Rappelons nous l’histoire et souvenons nous que ventre affamé n’a pas d’oreille…