Une vie, un monde
03 MARS 2020
Dans l’âtre, les bûches d’un vieux chêne protestaient et gémissaient sous les assauts incandescents du feu domestique. L’ancestrale massive table de ferme, mobilier de la jeune époque du couple vieillissant, travaillait ses extensions par des craquements aléatoirement, prouvant ainsi que même transformé rien ne meurt jamais vraiment. Ici pas d’horloge comtoise au tic-tac monotone, mais une grossière imitation plastique couleur bois estampillé « Scottish Highlands Whisky 1894 » faisait prendre conscience du l’éphémère constance du temps. Comme à son habitude, il se leva à l’aurore. La nuit fut courte et agitée. Il parait que la quantité d’années accumulées est inversement proportionnelle aux heures de sommeil, un nombre croissant d’âmes entrant dans l’ultime saison de leur vie vous le confirmeront.
Plus de quatre décennies de vie commune avec l’elfe féminin encore emmitouflé sous la couette. Un petit bout de femme aux mains magiques et au caractère bien trempé toujours présente et vaillante à ses côtés. Vintage diront certains, pour d’autres has been, alors que pour ces deux inséparables entrant dans l’hivers du parcours, rien que la normalité d’une vie exceptionnelle. Toujours à prendre soin naturellement l’un de l’autre, à veiller sur sa moitié, son équilibre, car l’un sans l’autre deviendrait un navire sans compas, un explorateur sans boussole, un marin sans son étoile polaire. Et puis bien sûr, entre deux lectures, les souvenirs qui affluent et gangrènent parfois votre esprit diffusant un très court instant le regret d’un come-back impossible.
Bienvenu à l’âge très adulte, dernière ligne droite avant une éventuelle remise des blâmes ou des médailles, semble dire la dame à la faux patientant appuyée nonchalamment contre le chambranle de la porte du salon. En finalité, ce monde n’est qu’une suite de négociations et de déceptions et ce qui déconne, c’est notre incapacité à le comprendre. Nous luttons inutilement et mesurons notre impuissance face aux fatalités qui finissent tout simplement par s’imposer… Les hommes passent la majeure partie de leur existence à vouloir changer la nature, la contrôler, en être les maîtres. Étonnant cette posture à nier les évidences. Tout d’abord, entre l’homme et la femme il y a cette merveilleuse différence qui permet de perpétuer la vie. Essayer de l’abolir sous le fallacieux prétexte d’égalité est une aberration contre nature et le signe manifeste d’une ignorance qui confine à la bêtise. En revanche, lutter pour l’équité des deux sexes, voilà un combat digne d’humanité.
Nous nous sommes aussi battus, certes par naïveté, obscurantisme plus que par cupidité, pour une vie matériellement aisée, mais à vouloir gagner toujours plus on s’aperçoit que l’argent transforme toutes les impuissances en son contraire d’où, sa perversion. Toutes têtes savantes s’inclinent devant l’imbécile cousu de paillettes et un peu d’or suffit à rendre le noir blanc. C’est l’argent qui rend désirable la veuve flétrie dont les pustules dégoutteraient l’hôpital, l’argent la rend belle, la parfume, la ramène au mois de mai, mais sa floraison à la consistance des couronnes qui ornent les cimetières. Du sportif immature au rappeur idiot et vulgaire, en le rendant riche, les honneurs qu’il procure l’ont rendu bête. Tant d’argent pour le plaisir, pour le luxe et refusé pour le travail, quelle étrangeté...
Ensuite, n’oublions pas les règles, morales et religions initiées pour asservir. Que n’ont-elles pas fait comme hécatombes à travers les âges à elles trois ! Les règles faites par les puissants pour exploiter, assujettir, dominer et appauvrir les peuples. La morale contrainte, fabriquée pour alimenter en culpabilité et supprimer en liberté. Les religions avec leurs amusants folklores qui sermonnent et occupent le dévot, mais qui deviennent vite indigestes quand elles cherchent à s’imposer en unique vérité. Défiler en se fouettant, scarifier son corps, trucider au nom d’un dieu improbable, tout cela n’a jamais apporté que souffrance et aucune assurance qu’en à l’acquisition d’un strapontin dans un quelconque paradis.
A ce jour le constat ressemble étrangement à cela : l’homme est perdu dans ses certitudes ou son ignorance. La négation persistante de sa durée a fait table rase de toutes spiritualités et détruit son lien avec la nature et son propre environnement. Qu’il le veuille ou non il n’y a pas de vérités fixes, immuables, mais des faits mathématiques actuels incontestables tels que, les degrés qui s’ajoutent dans le thermomètre. L’air qui devient irrespirable dans les grandes métropoles. Les eaux saturées de pesticide ou de plastique. L’arrivée de nouvelles maladies, nouveaux virus qui feront à terme des ravages. L’épuisement des ressources naturelles dû à l’exploitation, la production intensive de bien de consommation réclamé par une population terrestre qui explose en nombre, etc.. Tout cela n’est que le résultat d’un choix de société encouragée par des postures purement individuelles tel que le profit, la compétition, la possession et le paraître. A cause de cela, nombreux sont ceux qui n’ont éprouvé que chagrin et malheur sur cette planète qui nous sert un instant d’asile. Hélas ! aucun problème de la création ne nous y a été expliqué, et voilà qu’ils le quitteront le cœur plein de regret de n’y avoir rien appris sur ce sujet. Dans un monde amnésique qui court à sa perte, est-ce bien, est ce mal, à chacun son idée, après tout peu importe maintenant il faut faire avec, mais j’ai toujours en mémoire ce proverbe amérindien reprit par Saint-Saint-Exupéry et qui alimente mes insomnies : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants… »
« Les astres à nos présences ici-bas, n’ont rien gagné.
Leur gloire à nos déchéances ne sera pas augmentée ;
Et, témoin nos deux oreilles, nul n’a jamais pu nous dire
Pourquoi on nous a fait venir et on nous fait s’en aller »
O.Khayyam