Mi-mars 2022, un timide soleil se lève sur la campagne libournaise. Après une nuit frigorifique, la chaleur de l’astre entre en action et ses rayons viennent frapper la craquelure des premiers labours d’où s’échappent des mottes fumantes, dans un brouillard rasant, les esprits de la terre. Des nuées de corneilles coassent dans l’indifférence matinale. Je bâille au volant alors que les accords géniaux de la guitare de Knopfler envahissent l’habitacle. Les élections présidentielles approchent et d’après la Pravda jupitérienne tout semble joué. Notre guide suprême, refusant toute confrontation, paraît-il caracole dans les sondages et cela malgré cinq années de gouvernance par la peur, le mépris et au final un bilan catastrophique. Le plus étonnant, c’est cette fainéantise intellectuelle d’une masse citoyenne qui avale, adhère et justifie son déclassement sociétal et libertaire avec presque de l’entrain et une certaine jouissance masochiste. La tyrannie des faits divers mûrement choisis et imposés est là pour conduire directement à la surrection émotionnelle des foules afin de les pousser à l’acceptation tacite sans jugement préalable. Sous de fallacieux prétextes sécuritaires pseudo-sanitaires, nous sombrons peu à peu dans un environnement quasi fasciste infectant les moindres recoins de nos intimités et tout cela sous une passivité imbécile presque générale.
Les ralliements se font et les partis politiques se défont. À la recherche d’un futur poste, le baiser de Juda est de mise et les convictions d’hier deviennent les paillassons d’aujourd’hui ? Qu’importe, à bien réfléchir, finalement la trahison n’est qu’une question de date. Changer de camp n’est pas très difficile, il n’y a que la honte à enjamber. C’est toujours la même histoire qui se répète, les hommes les plus avides de pouvoir sont les mieux placés pour l’obtenir et pourtant les moins aptes à justement l’exercer. L’important c’est ce que l’on achète et l’on vend et pour ceux qui n’auraient pas encore compris le capitalisme se résume en une phrase : « Quand un pauvre vole un riche ça s’appelle un délit, quand un riche vole des pauvres ça s’appelle un système économique ». Et puis, allez donc savoir, du haut de son Olympe, sous ses attitudes de prétentieux austère et sa rigueur budgétaire envers les classes populaires, dans le cœur tiroir-caisse de notre Jupiter somnole peut-être un poète…
Il paraît que seuls des spécialistes de la politique peuvent gérer le pays et si des amateurs avaient l’audace de le contester, cette remise en cause ne serait que la résultante de cerveaux malades se muant dans les crânes démagogiques et conspirationnistes. Peut-être serait-il louable toutefois de leur rappeler que s’ils nous traitent d’amateurs nous pouvons toujours leur rétorquer que c’est un amateur qui a fait l’arche de Noé et des professionnels qui ont fait le Titanic et vu l’état du bateau France après quarante années de leurs bons et loyaux sévices, nous atteignons le fond. Encore un quinquennat avec les mêmes et il ne restera qu’une épave. En attendant, le passeport à la chinoise, on vous libère momentanément pour avoir le droit de plébisciter Sa Majesté dans les urnes et de pouvoir, sans masque, crier votre joie. Évidemment, vous l’avez compris, ce n’est que temporaire. Pour l’instant, on maintient la pression avec la guerre en Ukraine. À vous, qui n’arrivez plus à payer vos factures, à faire le plein de votre auto pour vous rendre à votre travail, qui ne vous soignez plus et qui désespérez devant un frigidaire vide le 15 du mois, ils vous demandent des efforts. Soyez généreux bandes de privilégiés, cessez de vous plaindre, baissez votre chauffage, accueillez et donnez pour les Ukrainiens. Je me pose tout de même la question, combien de réfugiés les experts en pleurniche et catastrophisme du style BHL ou Cohn-Bendit en logent chez eux ? Le racket déguisé en charité alimenté par les indignations de vertus à sens unique devient une habitude. Le magistère moral des arbitres en élégances justifierait-il à lui seul leur existence médiatique nocive ? J’ai peut-être un début de réponse, des études en thanatologie nous affirment que lorsque l’on meurt, l’esprit quitte le corps… Sauf chez les cons, chez eux ça se passe de leur vivant.
Ajoutons à cela la religion qui, aujourd’hui, fait partie intégrante de notre paysage. Elle vient polluer les débats et les décisions de nos dirigeants qui, par clientélisme, s’adaptent à ses délires piétinant de fait la laïcité. Pour beaucoup, la charia est au-dessus des lois de la république, paraît-il. Pourquoi pas, après tout, selon les intégristes religieux, la rédemption s’acquière par la souffrance et le paradis par la soumission. Le masochisme serait-il le chemin vers la transcendance ? J’en doute… Les dignitaires du culte le disent, les sages cléricaux interprètent les « saintes » Écritures pour les mettre au niveau de la compréhension bovine des masses. Soudain me revient en mémoire ce vieux proverbe arménien : « Si derrière chaque barbe il y avait la sagesse, toutes les chèvres seraient prophète ».
La révolte couve et si les mêmes guignols ou leurs clones sont reconduits, c’est une révolution à laquelle il faut s’attendre et j’ai bien peur que le jaune des gilets vire au rouge vermeil, car ventre affamé n’a pas d’oreilles. Et puis chez nous, la révolution c’est comme la vendetta chez les Siciliens ou la psychanalyse chez les juifs, une seconde nature… Après ces quelques lignes d’écritures, je vais au jardin m’éblouir devant la véritable magie et me réconcilier avec le temps qui passe. La graine d’une plante qui meurt redonne la vie. Ce soir, assis au salon, je regarderais ces photos jaunies par les saisons et l’obscurité des albums fermés. Ces images qui ont encore la grâce et l’élégance que ne possèdent plus les éphémères clichés numériques, cette technologie destructrice de la pureté durable des souvenirs argentiques.
Celui qui donne le pouvoir aux menteurs fait du tort aux justes.